20- Omar Khayyam dans ses Robaïyat :
Par le Dr Otoman Zar-Adusht HA'NISH. Traduit de l'anglais par Pierre Martin.
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Les premières pages.....
OMAR KHAYYAM
Esquisse biographique
CHAPITRE I
Il n'y a guère un coin du feu dans la civilisation où le nom d'Omar Khayyam¹ ne soit devenu proverbial. Tout homme du monde a non seulement lu les Robaïyat exhumés, mais en a sous la langue les citations. Il n'a pas suffi que les Robaïyat fussent traduits dans toutes les langues modernes et jusque dans les langues mono et dissyllabiques, ainsi que dans les jargons commerciaux tels que le Volapuk et l'Espéranto, mais des essais biographiques sur Omar ont été dramatisés dans l'ordre de traditions légendaires et d'interprétations poétiques ou prophétiques.
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¹ Voyez les NOTES, à la fin de l'ouvrage.
Dans nos traductions des stances choisies parmi les Robaïyat, nous n'avons pas cherché de connection avec les précédents traducteurs. Nous nous sommes proposé d'en rendre l'esprit, autant qu'il est possible de l'exprimer dans une langue moderne. En présentant ces stances, nous ne prétendons aucunement corriger ni améliorer d'autres auteurs, mais plutôt aplanir certaines contradictions inévitables dans la reproduction de gemmes littéraires, exotiques, et étranges pour l'intelligence du public.
Nous n'avons pas de critiques à présenter pour les œuvres de Fitzgerald, Alien, Winfield, Mac Carthy et autres traducteurs, car leurs traductions dont les librairies abondent, parlent d'elles-mêmes. Nous avons conservé notre entière indépendance, et n'y avons recouru que dans les cas où l'expression d'une onde mentale défiait toute traduction littérale, une difficulté que tout traducteur est sujet à rencontrer et avec laquelle il peut lutter en vain.
Quant à la biographie d'Omar Khayyam, nous fûmes d'abord tenté de garder le silence, surtout là où la légende transparaît, nouant un filet de conjectures autour de sa vie privée, que très peu d'entre nous sont capables d'interpréter, eu égard au tour radical et démocratique qu'ont pris notre étiquette sociale et nos coutumes par rapport aux habitudes classiques et aristocratiques de l'époque d'Omar.
Outre l'une des nombreuses légendes, populaire dans le romantisme de cœurs et d'esprits incultes, nous nous sommes appliqué à la seule recherche de la vérité, en évitant les fantaisies hautes de couleur de trop ardents admirateurs. Car la plupart des thèmes exploités pour embellir le caractère d'Omar Khayyam n'est qu'un produit de fiction et d'imagination où la raison s'est égarée dans son propre illusionnement. Une grande partie de la littérature actuelle, qui n'est qu'un résidu de contradictions psychologiques, force par sa puissance linguistique d'innombrables contrefaçons et jette l'oubli sur la pensée originale.
Qu'Omar Khayyam ait vécu, c'est un fait indéniable. Quant à l'époque exacte, les controverses abondent.
Cependant il importe peu de connaître le jour, le mois, l'année même de naissance, lorsqu'il s'agit des hauts faits d'un grand caractère, hauts faits dont la valeur est inappréciable pour tout esprit continuellement à l'affût de données sur la vie et l'éternité.
A l'époque d'Omar Khayyam, on tenait en général peu compte des dates : chacun considérait les signes du Zodiaque pour déterminer ses faits et gestes dans la vie courante. A la naissance d'un enfant, on consultait le devin, mollah, prêtre ou patriarche au sujet du kismet probable, dont les nombreuses incertitudes dérobaient à nos yeux la vue du Paradis.
Omar Khayyam naquit dans la seconde moitié du Sagittaire, probablement le 19 décembre, selon notre calendrier moderne. On cite l'année 1025 après J.-C. et son décès est signalé en l'an 1123. Il eut été âgé alors de quatre-vingt-dix-huit ans, âge fort respectable si l'on tient compte des innombrables vicissitudes, soucis, désappointements, persécutions, chicanes et intrigues auxquels il fut soumis en ces temps presque encore barbares. Qu'en fin de compte une partie de ses œuvres éducatives, littéraires et scientifiques ait échappé au vandalisme et à la traîtrise des ennemis du progrès et de la raison, cela est évidemment providentiel et il faut en féliciter la Destinée.
Le lieu où naquit Omar est un hameau voisin de Nischapour, dans la province de Khoraçan, l'une des plus riches principautés de l'ancien Iran (la Perse).
Khayyam, nom poétique d'Omar, signifie " fabricant de tentes ". Omar dut ce surnom à une profession héréditaire, bien que lui-même ne s'adonnât que rarement à ce travail, considéré comme avantageux et très honorable à cette époque. Toutefois, nous l'entendons faire allusion à ce surnom dans l'un de ses remarquables et capricieux quatrains, où il se vante d'avoir " cousu ses tentes de philosophie ".
Le père d'Omar, en continuant la profession de fabricant de tentes de ses ancêtres, avait acquis par son travail infatigable et son esprit industrieux, une fortune très estimable. Il mourut trop tôt pour se rendre compte et s'ennorgueillir des talents rares d'Omar, de son succès et de son immense renommée.
Sa mère, Yahyam, prit le plus grand soin de l'éducation de son fils, et lorsqu'il se fut émancipé de tous ses tuteurs privés, elle l'envoya au séminaire universellement connu de Nischapour, que présidait le très célèbre sage Imam Mowaffak, dont les directives personnelles devaient inoculer à Omar toutes les rigoureuses méthodes et les plus acides réactifs de l'orthodoxie, Et le pieux Imam ne perdait aucune occasion d'endoctriner sur la conception d'Al-La (Al, le Sans-commencement; La, le Sans-fin) comme la seule " Réalité et Puissance " en jeu dans la vie et l'éternité, ne laissant aucune place au pouvoir déterminant de la Volonté individuelle, mais n'admettant que soumission inconditionnée, exigeant l'obéissance sans réserve comme l'unique " preuve de vraie religion ".
Nischapour était le siège fameux de l'orthodoxie et l'orgueil de la Perse, qui possédait l'université la plus illustre dans l'Islam, où toutes les branches de la Science étaient enseignées par les plus savants docteurs, dont l'immense érudition en histoire, sciences empiriques, aussi bien qu'en biologie, zoologie, botanique, chimie, médecine, mathématiques, trigonométrie, physique, anthropologie, psychologie et théologie, et de plus en les sept arts libéraux de la grammaire, rhétorique, logique, arithmétique, musique, géométrie et astronomie (comprenant l'astrologie) --- était connue bien au delà des frontières de la Perse, en sorte que de nombreuses familles de tous les pays avoisinants se flattaient d'envoyer leurs fils à Nischapour et de leur donner la rare occasion d'acquérir les connaissances désirées sur toutes les sciences, adaptées et accessibles à tout étudiant.
CHAPITRE II
Les admirables talents et la perspicacité d'Omar éveillèrent bientôt l'attention du vénérable Imam Mowaffak, qui l'élut comme élève modèle et souverain favori, spéculant sur un éventuel successorat qui eut pu conférer à l'Ecole du Savoir une gloire éternelle. Une telle circonstance ouvrit à Omar l'accès du domicile privé de son instructeur et de sa famille, laquelle recelait la plus belle des tulipes d'Iran. Enjouée, accomplie, fine et enamourée de charme le plus angélique --- Scharine --- objet d'une vigilance draconienne de la part de son père, l'irréprochable Imam, dont la jalousie était sans bornes; car pour lui comme pour tout fidèle en Islam, le plus grand honneur qu'il put atteindre sur terre, avec l'assurance d'entrer au paradis, c'était de donner au Sultan son meilleur, son plus précieux et inestimable trésor, son unique enfant resplendissante de beauté. C'est ainsi que Scharine fut vouée au Sultan, qui devait l'appeler à lui quand cela lui conviendrait et lorsque les jours de l'innocence s'effaceraient devant ceux des responsabilités.
Mais " devant la puissance du destin, il n'y a pas de pacte éternel qui tienne ". Les regards d'Omar tombèrent sur les ensorcelantes " fenêtres de l'âme " de la beauté iranienne et il fut fasciné, hypnotisé et assujetti à l'instant même où se récapitule et se visualise l'ensemble du passé, oui, des éons de temps dans la durée d'un clin d'œil à la réduction minimale de l'éternité. Le moindre indice que l'on " se reconnaît " --- une rougeur, un battement de cœur, et la langue articulant de caléidoscopiques syllabes, tandis qu'un sourire argentin révèle l'existence des âmes ravies. Comme deux innocents enfants, étroitement cousus ensemble par les aiguillons d'Eros, ils prenaient l'envol vers les étendues sablonneuses, pour s'y ébattre en rêveries poétiques et en extases spirituelles, tantôt évoquant des visions du passé, tantôt entrevoyant l'éclat d'un avenir transfiguré, encore irrévélé.
Un livre en mains, sous les bosquets fleuris,
Un demi-pain, ma cruche de Rubis,
Et toi, pour me chanter l'Amour divin :
De quoi changer déserts en Paradis.
Mais qu'en allait-il du Sultan à qui elle était vouée, tout comme une nonne est consacrée au service du Christ ? Ni Scharine ni Omar ne tenait compte des illusions des mortels plongés dans les superstitions de coutumes hypnotiques. L'amour ne connaît rien hors l'amour, qui est l'accomplissement de la loi.
Les visites devenaient de plus en plus fréquentes et, si elles étaient censurées, on inventait des moyens de communication. L'amour n'admet aucune ingérence : il défie tout obstacle et plus la route qui sépare deux cœurs aimants est ardue, plus l'esprit s'ingénie, tandis que la philosophie raccourcit les distances, les réduisant à ce petit point d'où toute ligne, courbe, cercle sont issus. A vrai dire, il y eut des flots de larmes et des cœurs meurtris, et :
Que la Mer est loin ! gémit la Rosée.
L'Océan rit : Que tu es insensée,
Chacun n'est qu'un --- l'ensemble nous fait dieux.
Un simple accent de moi t'a divisée.
Il n'y a qu'un pas du ridicule au sublime. Grâce à ce talisman philosophique, tout danger s'efface, alors que les rayons d'or de l'amour ensoleillé communiquent un élan nouveau au phénoménal sur terre et enveloppe les amants d'un pouvoir de rayonnement qui les exalte jusqu'aux sphères célestes !
Omar avait ses admirateurs, qui veillaient sur lui et dirigeaient ses pas, tandis que le sévère et pieux Mowaffik avait ses éclaireurs, espions et sicaires, prêts à frapper le coup fatal. L'amour a ses temps et ses lieux; il a aussi ses protégés et favoris --- lorsqu'ils sont exempts du doute et de la crainte et placent leur confiance implicite en l'Unique Intelligence immuable et impartiale, qui imprègne et entretient, soutient et perpétue son Propre Fils --- " car Dieu a tant aimé le monde qu'Il Le lui a donné ".
Aucune clôture entrelacée de vignes n'était trop serrée, aucun espace entre deux murs trop grand pour empêcher Omar de rejoindre l'idole de son cœur. Bien des lunes crûrent et décrûrent; bien des heures nocturnes s'envolèrent, et souvent les ombres de minuit voilèrent le scintillement des étoiles, tandis que les doux amants se réchauffaient aux rayons de leurs cœurs palpitants, et tissaient en esprit la trame du jour ensoleillé qui devait apporter à leurs vœux ardents des possibilités de réalisation. Mais...
Une porte est là, pour moi sans verrou;
Un voile épais, pour mon œil sans un trou;
On a parlé de nous deux là-derrière;
Déchirons ce voile ! Ah !... où sommes-nous ?
Toutes ses ruses et ses trucs, toute son ingéniosité et ses calculs ne servirent de rien à Omar. Fou de détresse, il se trouve impuissant à renverser les barrières de coutumes établies. Affaibli par la pensée de l'inévitable, il dut se rendre. Le Sultan allait venir réclamer la victime que lui livrait une croyance enracinée, n'admettant, sous peine de mort, aucune rétractation. Encore un dernier rendez-vous nocturne avec la Bien-Aimée, et puis...
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